26.4.12

Le défi de la diversité ethnique

Zone tampon entre les empires russe et britannique au 19ème siècle, l’Afghanistan proclame son indépendance en 1919. Mais des frontières artificielles séparent les ethnies. Ces divisions sont aggravées ensuite par les guerres successives qui déchirent le territoire.

Au fil des invasions et conquêtes historiques, le peuple occupant le territoire actuel de l’Afghanistan s’est peu à peu diversifié, chaque groupe ethnique apportant sa langue, ses traditions, sa religion. Aujourd’hui, plus de quarante ethnies, elles-mêmes divisées en clans et tribus puis en familles, composent le paysage culturel. Celui-ci comporte des groupes ethnolinguistiques divers, principalement répartis en une branche iranienne (Pachtounes, Baloutches, Hazaras, Nouristanis, Tadjiks, Aimaks) et une autre turque (Kirghizes, Turkmènes, Ouzbeks), qui sont ainsi répartis géographiquement :
Il est très difficile d’obtenir des statistiques fiables quant à la composition ethnique de l’Afghanistan, d’autant qu’elles évoluent avec les multiples déplacements de populations et que les membres de certains groupes cachent leur identité par peur des discriminations. Toutefois, on estime que l’ordre démographique des principales ethnies est le suivant : Pachtouns, Tadjiks, Hazaras, Ouzbeks, Aimaks, Turkmènes, Baloutches, comme on peut le voir sur le document ci-contre.

Les Pachtounes constituent l’ethnie afghane majoritaire et la plus homogène. Ils sont à l’origine de la fondation de l’Etat afghan en 1747 et en détiennent depuis les hauts pouvoirs. Bien que deux langues, dari (ou persan) et pachto, langues indo-iraniennes, soient officielles, c’est le pachto qui est utilisé pour les affaires de l’Etat et pour chanter l’hymne national. L’ethnie pachtoune occupe par ailleurs une position géographique stratégique puisqu’elle couvre les frontières iranienne et pakistanaise.

Cette diversité est une richesse, mais se présente parfois comme un obstacle à la paix. Et cela commence avec le nom qui a été attribué au territoire afghan : « Afghanistan », et à fortiori, au gentilé : « Afghan », auxquels on reproche de ne pas représenter l’ensemble de la population. En effet, Afghan est l’autre nom donné aux Pachtounes, et l’Afghanistan est donc littéralement le « pays des Pachtounes ». A ce propos, il est intéressant de considérer la réflexion de Meradjaudine Emamzadah, architecte et calligraphe né à Kaboul en 1948 qui s’est exilé pendant la période soviétique : « La composition ethnique du pays aujourd’hui est au moins aussi cosmopolite que la France au temps de la Gaule, pourtant, je n’ai jamais lu ni entendu dire les nationaux français qu’ils étaient des Francs. Il m’a donc semblé normal d’adopter la même règle politico-grammaticale aux nationaux d’Afghanistan. C’est la raison pour laquelle je me présente comme Afghanistanais. »

Une solide base commune, l’Islam, lie ce peuple aux mille visages. Mais la religion musulmane, au cœur de laquelle s’opposent un courant chiite et un autre sunnite, a aussi été la cause de nombreuses cicatrices. On estime que 80% des Afghans sont musulmans sunnites tandis que 19%, essentiellement des Hazaras et des Tadjiks, croient en un Islam chiite. Ces derniers sont régulièrement discriminés sur la base de leur croyance « divergente », à laquelle s’ajoutent, pour les Hazaras, leurs traits moghols. La destruction des Buddhas de Bâmiyân par les Talibans en mars 2001 en est le symbole. « Pour que personne ne puisse voir qu’ils avaient les mêmes visages que nous, dire que nous sommes des habitants au moins aussi légitimes de ce pays que les autres », dira Cheikh Ali, un médecin de Bâmyiân…

Aujourd’hui, il apparaît clairement que les forces de la coalition occidentale n’ont pas pris la mesure de l’importance du facteur ethnique en Afghanistan. A Kaboul certes, toutes les ethnies et tous les clans se mêlent, mais la capitale ne reflète pas la situation dans le reste du pays. Selon Anne Nivat, reporter de guerre indépendante, la répartition de l’armée afghane, par exemple, est très inégalitaire et source de tensions : « les Tadjiks sont surreprésentés aux dépens de Hazaras et des Ouzbeks ; quant aux Pachtounes, ils sont très sous-représentés et ceux qui ont choisi de servir proviennent de l’Est et du Nord plutôt que du Sud (…). Pourtant, c’est bien le Sud qui est le principal théâtre de cette guerre ! »*.

Pourtant, à l’heure où le retrait des troupes occidentales de combat est annoncé prochainement, règne le spectre menaçant des années noires de la guerre civile.

* Anne Nivat, Les brouillards de la guerre, Dernière mission en Afghanistan, Editions Fayard 2011